On nous dit que manger du bœuf nuit à l’environnement, mais au fait, savons-nous quel en est le coût réel ? Les autres viandes, ou les aliments à base d’autres animaux, sont-ils meilleurs ou pires ? Une nouvelle recherche, menée à l'Institut Weizmann en collaboration avec des scientifiques des Etats-Unis, a comparé les coûts environnementaux de différents aliments, et elle est arrivée à des résultats surprenants. Ceux-ci, publiés aujourd'hui dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), devraient non seulement influencer les choix alimentaires individuels, mais aussi informer les organismes gouvernementaux qui prennent les décisions politiques en matière d’agriculture et de marketing.
Le docteur Ron Milo, du département des Sciences du végétal, avec le doctorant Alon Shepon, et en collaboration avec Tamar Makov, de l’université Yale et le docteur Gidon Eshel, de New York, ont posé la question de savoir quels sont les types de nourriture à base animale qui peuvent être consommés si l’on prend l’environnement en considération. Bien que de nombreuses recherches aient abordé ces sujets, aucune d’entre elles n’a tenté de faire une comparaison approfondie, capable de donner une image recouvrant tous les aspects des coûts environnementaux de l’alimentation d’origine animale.
Le groupe a étudié les cinq sources principales de protéines dans le régime américain : les produits laitiers, la viande de bœuf, la volaille, la viande porcine, et les œufs. Son projet était de calculer les données environnementales de base, c'est-à-dire les coûts, par unité nutritionnelle, soit les calories ou les grammes de protéines. La difficulté principale que le groupe a rencontrée a été l’élaboration de valeurs d’entrée exactes et fiables. Exemple : l’élevage du bétail sur des terres arides de l’ouest des Etats-Unis utilise d’immenses surfaces de terre, mais nécessite relativement peu d’eau d’irrigation. En revanche, le bétail élevé dans des parcs d’engraissement est principalement nourri de maïs, ce qui exige moins de surface, mais beaucoup plus d’irrigation et d’engrais azotés. Les chercheurs ont dû tenir compte de ces différences, et calculer les données d’ensemble qui reflètent les méthodes actuellement en usage, et de cette manière établir le plus exactement possible quel est le coût environnemental réel de chacune de ces denrées alimentaires.
Les données que les chercheurs ont utilisées proviennent, entre autres, des bases de données du ministère de l’Agriculture des Etats-Unis. Selon le docteur Milo, ceci est idéal parce que dans l’ensemble ces données sont d’excellente qualité, et permettent d’inclure, par exemple, des chiffres sur les déséquilibres de l’import-export, ce qui augmente le coût. Les ressources environnementales que le groupe a considérées comprennent l’utilisation des terres, l’eau d’irrigation, les émissions de gaz de serre, et l’utilisation d’engrais azotés. Chacun de ces coûts est un système environnemental complexe. Par exemple, non seulement l’utilisation de la terre immobilise-t-elle cette précieuse ressource agricole, mais de plus elle est la cause essentielle de la diminution de la biodiversité. De plus, les engrais azotés polluent les eaux naturelles.
Une fois que les données ont été établies, y compris celles des coûts environnementaux de différentes sortes d’aliments (comme le pâturage, le foin, le maïs), le groupe a développé des équations qui permettent d’évaluer le coût environnemental, d’abord par calorie, puis par unité de protéines, pour chaque aliment.
Les calculs ont montré que le plus grand coupable est le bœuf, ce qui, selon Milo et Shepon, n’est pas une surprise. Celle-ci, justement, provient de l’écart : au total, se nourrir de bœuf coûte un ordre de grandeur en plus (environ dix fois plus en moyenne) à l’environnement que les autres produits alimentaires d’origine animale, parmi lesquels le porc et la volaille. Le bétail exige en moyenne 28 fois plus de terres et 11 fois plus d’eau d’irrigation, il émet 5 fois plus de gaz à effet de serre et consomme 6 fois plus d’azote que les œufs et la volaille. Le porc, la volaille, les œufs et les produits laitiers ont une consommation à peu près identique. Ceci aussi a été une surprise, parce qu’on pense souvent que les produits laitiers causent relativement peu de dégâts à l’environnement. Mais cette recherche a montré que le prix de l’irrigation et de la fertilisation des cultures utilisées pour la nourriture des vaches laitières, et de plus leur rendement relativement bas en comparaison avec d’autres bestiaux, font nettement grimper la dépense.
Le docteur Milo pense que cette recherche pourrait avoir un certain nombre d’incidences. Si d’une part elle peut aider les individus à faire un meilleur choix pour leur alimentation, on peut espérer aussi qu’elle aidera la politique agricole à se fonder sur des informations plus précises. L’outil que le groupe a mis au point pour analyser les coûts environnementaux de l’agriculture pourrait être élargi et perfectionné afin d’être utilisé, par exemple, pour comprendre le coût relatif des régimes végétaliens, ou les habitudes alimentaires de différents pays. En plus des comparaisons, il peut donner des indications sur des domaines qui devraient être améliorés. Des modèles basés sur cette recherche pourront aider les responsables politiques à prendre de bonnes décisions concernant la sécurité alimentaire en utilisant des procédés qui répondront aux besoins des générations présentes et futures.
La recherche du docteur Ron Milo est financée par : Mary and Tom Beck-Canadian Center for Alternative Energy Research ; Lerner Family Plant Science Research Endowment Fund ; European Research Council ; Leona M. and Harry B. Helmsley Charitable Trust ; Dana and Yossie Hollander (Israël) ; Jacob and Charlotte Lehrman Foundation ; Larson Charitable Foundation ; Wolfson Family Charitable Trust ; Charles Rothschild (Brésil) ; Selmo Nissenbaum (Brésil) ; la succession de David Arthur Barton. Le docteur Milo est titulaire de la chaire Anna and Maurice Boukstein Career Development Chair in Perpetuity.